Créer au Québec, survivre ailleurs? / by Melina Serangelo

Je m’appelle Mary-Jo Dorval, et ça fait près de 15 ans que je côtoie le milieu du fait main au Québec.

J’en suis à ma troisième entreprise :
Une ligne de bijoux lancée comme projet de fin d’études au BAC en commercialisation de la mode.
Une marque de vêtements haut de gamme pour femmes, conçue et produite ici.
Et aujourd’hui, Kid’s Stuff [Trucs d’enfants]: une marque de vêtements évolutifs, durables et libre-genre pour enfants, fabriqués localement.

Ces projets m’ont formée, challengée, portée, mais ils m’ont aussi confrontée à une réalité brutale :
le marché québécois seul ne suffit pas toujours à faire vivre une entreprise artisanale.

Une des raisons pour lesquelles mes deux premiers projets n’ont pas levé à long terme, c’est qu’on n’a pas exporté assez tôt, faute de moyens, d’accompagnement ou de réseaux.

Aujourd’hui, avec Kid’s Stuff [Trucs d’enfants] j’ai pris cette expansion en main… mais je ne peux pas m’empêcher de me poser des questions. Pourquoi doit-on vendre ailleurs pour survivre ici?
Pourquoi faut-il tant justifier notre existence comme créateur·rices?

Cette réflexion, je l’ai écrite après être tombée sur un article troublant sur le revenu moyen des artistes au Québec. Et visiblement, je ne suis pas la seule que ça a fait réagir…

Créer au Québec, survivre ailleurs?

Récemment, je suis tombée sur un article qui parlait du revenu annuel moyen des artistes au Québec : environ 21 000 $ par année.

Je vous laisse digérer ça.

C’est en dessous du seuil de pauvreté, en dessous du salaire minimum. C’est un chiffre qui brise le cœur,mais surtout qui brise des carrières.

Dans l’article, on évoquait une des « solutions » possibles : l’aide gouvernementale. Mais on le sait, cette aide est fragile, souvent coupée, politisée, et loin d’être équitablement distribuée. Et honnêtement, je ne veux pas dépendre d’un gouvernement pour survivre comme créatrice. Ce n’est pas ça, vivre de son art.

Ce que je veux, c’est que les gens consomment l’art. Le design. La création locale. Que les artistes puissent vivre de leur talent parce qu’il y a une clientèle ici, au Québec. Qu’on valorise notre monde autant que les étrangers le font.

Parce que, soyons clairs : à l’international, le mot “Montréal” fait rêver.
Quand je vends mes produits àl’’extérieur, les acheteurs sont fascinés, emballés, curieux. Ils reconnaissent la valeur, la richesse, l’audace de notre design québécois.

Et ici? C’est un autre monde.
75 % de mes ventes sont faites hors Québec.

Et ça, ça me désole.

Pourquoi faut-il quitter le Québec pour être reconnu? Pourquoi faut-il que je justifie le fait qu’une partie de ma marque soit en anglais — quand c’est justement ce qui me permet de vendre ailleurs et de survivre?

Et pendant ce temps, ici, on continue de mettre toujours les mêmes formes de culture de l’avant. On a fait du bon boulot pour la musique, l’humour, le cinéma, la télé. C’est vrai, il y a là un vrai effort collectif de visibilité.

Mais la culture ne s’arrête pas là. Où sont les créateurs de mode dans les médias grand public? Où sont les artistes visuels, les auteurs jeunesse, les gens du théâtre, les artisans?

Il y a tout un pan de notre culture qui reste dans l’ombre, faute de plateforme, faute d’espace, faute de volonté.

Et pourtant, ce sont aussi ces créateurs qui façonnent l’âme du Québec.

Je rêve d’un Québec où on est fier de nos artistes pendant qu’ils sont là — pas seulement après leur départ ou leur mort.

Je rêve d’un Québec où on ne se scandalise pas de voir un mot en anglais, mais où on s’indigne de voir un·e créateur·rice devoir s’expatrier pour manger.

On a du talent ici. On a de la créativité. On a de l’audace.

Ce qu’il nous manque, ce n’est pas de l’aide gouvernementale : c’est du soutien du public. C’est VOUS.

Achetez local.
Soutenez vos artistes.
Partagez leur travail.
Donnez-leur de la visibilité.
Faites-le sans attendre un rabais, sans attendre un concours, sans attendre qu’ils percent à l’international.

Sinon, on va tous finir par créer ailleurs.

Et ce ne sera plus le Québec qu’on aime tant.